Poirier des Jesuites (Windsor), artiste et date inconnus, Musée Windsor, P6741-72.
Courtoisie du Musée Windsor.

Mission Pear Tree (Windsor), Artist and Date Unknown, Museum Windsor, P6741-72.
Courtesy of the Museum Windsor.

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Les poiriers des Jésuites et la région du Détroit

Les arbres qu’on nomme « poiriers des Jésuites » sont des marqueurs fiables de la présence française dans la région du Détroit et ils témoignent de l’ancienneté de ce peuplement, tant du côté américain que canadien de la frontière internationale qui sépare aujourd’hui le Canada et les États-Unis, au milieu de la rivière Détroit.* On en trouve quelques dizaines d’exemplaires des deux côtés de cette frontière, depuis l’embouchure du lac Érié jusqu’aux rives du lac Sainte-Claire. Les échantillons qui demeurent dans la ville de Windsor sont concentrés le long de la rivière Détroit et des rues marquant la deuxième et la troisième concession de terre accordées aux premiers colons aux XVIIIe et XIXe siècles. La plupart des villages établis par les francophones à l’intérieur des comtés canadiens d’Essex et le long du lac Sainte-Claire révèrent aussi quelques survivants qui fleurissent toujours sur leurs terres. Du côté américain du Détroit, où le développement industriel et économique a anéanti presque toutes les traces des origines françaises de la ville, on trouve quand même plusieurs beaux spécimens de cet arbre à Grosse-Pointe, au nord de Détroit, et à Monroe, au sud de la métropole américaine.

Les poiriers des Jésuites aujourd’hui

Bien que les poiriers d’aujourd’hui ne semblent pas atteindre les tailles gigantesques attestées par les sources historiques, ils peuvent toutefois atteindre des dimensions impressionnantes. Un exemplaire vénérable situé près de Harrow, en Ontario, dont on estime l’âge à plus de 200 ans, s’élève à 12 mètres et dispose d’un tronc mesurant 5,7 mètres de circonférence. D’autres spécimens canadiens, à Windsor et dans le village de Rivière-aux-Canards, s’approchent de ces dimensions épiques. En dépit d’un âge et, parfois, d’une décrépitude fort avancés, la plupart de ces arbres continuent à produire d’année en année une grande quantité de petites poires sucrées et légèrement épicées. Les fruits plutôt ronds que piriformes mûrissent à la mi-août.

Ces caractéristiques de géant vont à l’encontre de la valeur commerciale de ces poiriers dans les vergers d’aujourd’hui, où la plupart des arbres fruitiers ne dépassent guère une hauteur de deux mètres. En effet, la taille énorme de ces arbres rend la cueillette des fruits extrêmement difficile. De plus, ce fruit traditionnel s’éloigne considérablement de l’image courante d’une poire pour les consommateurs contemporains qui exigent un produit uniforme et de grosse taille. Délicieuses lorsque cueillies à même l’arbre, ces poires étaient le plus souvent mises en conserves ou marinées, deux pratiques tombées en désuétude aujourd’hui [voir annexe]. Le fait qu’on reconnaisse peu de valeur économique à ces arbres, et qu’on ignore leur importance historique et culturelle a sans doute nui à la conservation des poiriers des Jésuites. Le développement résidentiel sur les terrains des anciennes fermes le long de la rivière Détroit en a décimé la population. À ces problèmes, ajoutons la difficulté de propagation des poiriers et la longue période de maturation (environ 20 ans) avant l’entrée en production et nous pouvons comprendre leur rareté déconcertante de nos jours : seules quelques douzaines de spécimens authentiques sont identifiés du côté canadien de la rivière.

L’intérêt suscité par les poiriers des Jésuites dépasse cependant leur valeur historique pour la communauté francophone de la région, puisque, malgré une taille qui convient mal à l’exploitation commerciale, les chercheurs d’Agriculture Canada ont entamé un projet qui vise à déterminer le génotype de l’espèce afin d’en conserver certaines caractéristiques utiles – à savoir sa résistance naturelle aux insectes et au feu bactérien, sa vigueur et son extrême longévité. Mais les informations précises sur l’origine et la culture de l’espèce étant éparses et rares, ces chercheurs ont dû avoir recours à l’aide des historiens et des ethnologues.

Les origines historiques et légendaires des poiriers des Jésuites

Les sources des XIXe et XXe siècles s’entendent sur le fait que le poirier des Jésuites constituait autrefois un des traits les plus frappants de la physionomie du Détroit. Selon le mémorialiste américain Bela Hubbard, qui écrit en 1887, chaque ferme française le long de la rivière Détroit possédait une quantité de poiriers.* D’autres sources maintiennent que les arbres étaient toujours plantés en groupe de douze, pour représenter les douze apôtres. On décrit des spécimens extraordinaires atteignant plus de 20 mètres de hauteur et produisant de 40 à 60 boisseaux de poires chaque année. Plusieurs auteurs remarquent que les poiriers ressemblent plus à des chênes ou à des ormes qu’à des arbres fruitiers. U. Prentiss Hedrick, dans son étude classique The Pears of New York, écrivait en 1921 : « On ne peut écrire l’histoire de la poire en Amérique sans faire mention des magnifiques spécimens de poiriers qu’on trouvait jusqu’à ces dernières années dans les vieux établissements français du Michigan – quelques-uns subsistent encore.»* Il souligne le fait que les Français furent les premiers à cultiver des arbres fruitiers en Amérique du Nord et note d’ailleurs l’existence de poiriers semblables à ceux du Détroit dans les anciens peuplements francophones en Illinois, en Indiana et au Missouri.*

Les habitants du Détroit furent reconnus très tôt pour leurs vergers et leur production de cidre. Hubbard décrit les anciens moulins à cidre qui y existaient encore au début du XIXe siècle et nomme plusieurs variétés de pommes développées par les premiers colons français, au XVIIIe siècle.* En fait, le sol et le climat du Détroit conviennent fort bien à la culture des fruits, entre autres des pêches et des coings, cultures rares ailleurs au Canada. Dès son premier rapport à ses supérieurs en 1701, Lamothe-Cadillac vante les qualités de sa nouvelle colonie et loue les « longues et larges allées de jeunes et anciens fruitiers [qui,] sous le poids de la quantité de leurs fruits, mollissent et courbent leurs branches vers la terre féconde qui les a produits… ». Il note « les pommes et les prunes dont la terre est pavée », mais ne fait aucune allusion aux poires dans cette vision du paradis terrestre.* La piste des poiriers est en réalité difficile à retrouver au XVIIIe siècle. En dépit de la désignation qu’on leur donne, les propagateurs présumés de ces poiriers, les jésuites, ne semblent avoir laissé aucun témoignage de cette œuvre, ni dans leurs Relations, ni parmi les volumineux écrits de Pierre Philippe Potier, missionnaire chez les Hurons et les Français du Détroit de 1744 à 1787. Bon nombre de livres de comptes du XVIIIe siècle, conservés à la Burton Historical Collection à Détroit, témoignent de l’importance des pommes et du cidre dans l’économie locale, mais encore ici, il n’y est aucunement question des poiriers des Jésuites. […]

Regain d’intérêt pour cet arbre fruitier

Les auteurs du XIXe siècle déplorent la disparition inévitable des poiriers et, avec elle, celle de la vieille culture française qui doit s’incliner devant le progrès inexorable de la nouvelle république américaine. De là, sans doute, leur propension à créer des légendes qui ajoutent une forte valeur symbolique et patrimoniale à ces arbres menacés. Mais ces poiriers, comme la communauté francophone, persistent encore aujourd’hui. La communauté francophone du Détroit a fait de ces arbres, dont l’existence est à la fois précaire et ancienne, menacée mais toujours vivante, le symbole vivant de l’enracinement français dans un des coins les plus éloignés et isolés du Canada français. Lors des Grandes Fêtes du tricentenaire de 2001, la ville de Windsor a reconnu officiellement la puissance de ce symbole en plantant trois poiriers au bord de la rivière Détroit, pour commémorer l’arrivée des premiers colons sur la rive sud du Détroit, en 1749, colons qui sont à l’origine de la communauté francophone située du côté canadien de la frontière. Les poiriers ont également servi de logo pour une exposition importante sur l’histoire des francophones du Sud-Ouest ontarien à la Maison François-Baby, qui abrite le musée communautaire de Windsor. Lors d’une autre exposition, le musée encouragea les visiteurs à marquer la présence de poiriers sur une carte du comté d’Essex. Grâce à cette initiative, une douzaine de nouveaux spécimens ont été identifiés.

D’autres projets visent à faire connaître et à valoriser davantage ces poiriers. Lors du tricentenaire de Détroit, un groupe de francophones de la région a créé une pépinière dans le but de fournir des poiriers à toutes les personnes s’intéressant à leur propagation. À l’occasion d’un colloque sur le patrimoine religieux tenu à Pointe-de-l’Église, en Nouvelle-Écosse, en 2006, des membres du même groupe ont offert un poirier des Jésuites à leurs hôtes. On a planté cet arbre sur le terrain de l’Université Sainte-Anne. Enfin, Agriculture Canada, qui cherche à inclure le plus d’échantillons possible dans sa banque de gènes, a aussi entrepris une campagne de sensibilisation de la population qui aidera à identifier et à conserver ce symbole vivant de la communauté francophone du Détroit.

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The Jesuit Pear Trees and the Detroit Region

The trees known as the “Jesuit pear trees” can be considered as reliable indicators of the presence of a French-speaking community in the Detroit region and are evidence of the impressive length of time this community has been established on both the American and Canadian sides of the international border that now runs down the middle of the Detroit River.*  A few dozen specimens of the tree can be found on each side of the border, from the mouth of Lake Erie to the shores of Lake St. Clair.  The trees that remain in the city of Windsor are mostly concentrated along the Detroit River and the streets marking the second and third land concessions granted to the first settlers in the 18th and 19th centuries.  Most of the villages established by French settlers in the Canadian counties, including in Essex County, as well as along the shores of Lake St. Clair, still have a few venerable surviving examples of the tree still flourishing in the area.  On the American side of the river, where industrial and economic development has wiped out practically every trace of the city’s French origins, there are still several fine specimens of the tree, which are mostly located in Grosse Pointe, north of Detroit, and in Monroe, to the south.

The Jesuit Pear Trees Today

Although the pear trees of today do not seem to reach the enormous sizes mentioned in the historical accounts, they can nevertheless attain impressive dimensions.  One venerable specimen, located near Harrow, Ontario, estimated to be over 200 years old, is 12 metres (40 ft) high with a trunk measuring 5.7 metres (18.7 ft) in circumference.  Others found in Windsor and in the village of Rivière-aux-Canards have nearly reached such colossal dimensions.  Despite their great age and their sometimes very advanced state of decay, most of these trees still produce, year in and year out, a large number of tiny, sweet, slightly spicy pears, which are more round than pear-shaped fruit ripens in mid-August.

In today’s orchards, the commercial value of these pear trees is not at all in proportion to their size, for the giant specimens are completely out of place among fruit trees that are rarely more than two metres (6.5 ft) high.  In fact, the enormous size of the pear trees makes gathering their fruit very difficult indeed.  Moreover, this traditional fruit bears little resemblance to the ideal pear sought by the contemporary consumer, who insists on a large, uniformly-shaped product.  Although they are delicious straight from the tree, in the past these pears were more often than not preserved or canned, two practices that have now become obsolete.*  These trees are considered to be of little economic value and because their historical and cultural importance is generally unknown, they have not been considered prime candidates for preservation.  Residential development on former farmlands along the Detroit River has also decimated the Jesuit pear tree population.  In addition to these problems, when one takes into consideration the fact that the trees are difficult to plant and their long maturation period (it takes approximately 20 years before they become productive), it is easy understand why they have sadly now become so rare. Therefore, only a few dozen authentic specimens can be found on the Canadian side of the river today.

There is however a growing interest outside the French-speaking community in the fate of the Jesuit pear trees, for many consider them to have substantial historic value.  Indeed, in spite of their small size, which detracts from their commercial viability, the pears have attracted the attention of researchers from Agriculture Canada who have initiated a project intended to determine the genotype of the species in order to preserve some of its useful characteristics for posterity, particularly its natural resistance to insects and fire blight, its robustness, and its extreme longevity.  However, given that precise information concerning the origin and culture of the species is scattered and rare; these researchers have had to turn to historians and ethnologists for help.

The Historical and Popular Origins of the Jesuit Pears

Nineteenth- and twentieth-century sources agree that the Jesuit pears were once among the most striking features of the Detroit region landscape.  In her 1887 memoirs, the American writer Bela Hubbard observed that a certain number of pear trees grew on each French farm along the Detroit River.* Other sources maintained that the trees were always planted in groups of 12, to represent the 12 apostles.  We find descriptions of extraordinary specimens towering over 20 metres (65 ft) high, which were said to produce 40 to 60 bushels of pears per year.  A number of authors pointed out that the pear trees looked more like oaks or elms than fruit trees.  In his classic 1921 study entitled The Pears of New York, Ulysses P. Hedrick observed that “The history of the pear in America cannot be written without making note of the magnificent specimens of this fruit standing until recent years – a few may still be found – about the old French settlements in Michigan…”.* He emphasised the fact that the French were the first to cultivate fruit trees in North America and also remarked that pear trees similar to the Detroit trees could be found in the settlements of Illinois, Indiana and Missouri that were originally French-speaking.

The inhabitants of the Detroit region became renowned very early on for their orchards and for their production of cider.  Hubbard describes the old cider mills that were still in existence there at the beginning of the 19th century and named several varieties of apples developed in the 18th century by the early French settlers.* In fact, the city’s soil and climate were and still are quite well suited to fruit cultivation, including peaches and quinces, which are rarely grown elsewhere in Canada. In his very first report to his superiors in 1701, Detroit city founder, Lamothe-Cadillac, vaunted the excellent qualities of the new settlement and praised the “long, wide rows of young and old fruit trees [that], weighed down by the sheer quantity of their fruit, give way and curve their branches toward the very fertile soil out of which they sprung.”  He also observed that: “the ground is covered with apples and plums” but never alluded to pears in this visual description of his earthly paradise.* In fact, it is difficult to find evidence of the pear trees in 18th century writings.  Despite the name that the trees acquired, their supposed original propagators, the Jesuits, left no apparent evidence of their handiwork:  the trees are not mentioned in the Jesuit Relations or in the voluminous writings of Pierre Philippe Potier, a missionary who lived among the Hurons and French settlers of Detroit from 1744 to 1787.  The importance of apples and apple cider to the local economy is revealed in a significant number of 18th century account books that have been preserved at the Burton Historical Collection in Detroit, but once again no mention is made of the Jesuit pear trees.  […]

Renewed Interest in the Fruit Tree

Nineteenth-century authors deplored the seemingly inevitable disappearance of the pear trees and with it the demise of the old French culture that would inevitably be swept aside by the inexorable march of progress initiated by the rise of the new American republic.  This no doubt explains their propensity for creating folktales that attribute a highly symbolic and heritage value to these threatened trees.  However, both the Jesuit pear trees and the French speaking community have survived to this day. The Detroit region French speakers have made these trees, whose existence is both long lasting and precariously fragile, both threatened and vibrantly alive, the living symbol of French settlement in one of the most remote and isolated corners of French North America.  In 2001, during the 300th anniversary celebrations of the founding of Detroit, the city of Windsor officially recognized the power of this symbol by planting three pear trees on the Canadian side of the Detroit River to commemorate the 1749 arrival of the first settlers on the south bank of the river. It was these very same settlers who established the area’s first French speaking community on the Canadian side of the border.  The pear trees also served as the logo for a major exhibit on the history of French speakers of Southwestern Ontario, which was held at the Maison François-Baby, home to Windsor’s Community Museum (see Appendix).  In another exhibit, the museum encouraged visitors to indicate (by marking a map) any pear trees they knew to exist in Essex County. This initiative enabled the museum to locate and confirm a dozen heretofore-unidentified specimens.

Other projects have been created in order to showcase and promote the Jesuit pear tree.  During the 300th anniversary celebrations of the founding of Detroit, a group of area French speakers founded a tree nursery, in order to provide pears anyone interested in propagating the species.  During a 2006 convention on religious heritage held in Pointe-de-l’Église, Nova Scotia, members of the same group of French speakers presented a Jesuit pear tree to their hosts and the tree was subsequently planted on the campus of Université Sainte-Anne.  Agriculture Canada, which is currently looking to incorporate as many samples [of varieties of species] as possible into its gene bank, has also initiated an awareness campaign, in order to help the general public identify and conserve this living symbol of the Detroit region’s French-speaking community.

Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, 2007:
Extrait de l’article « Poiriers des Jésuites » par Marcel Bénéteau
Source

* Pour plus d’informations sur les sources citées dans cet article / For more information about the sources cited in this article:
Source

Musée de Windsor

Abrité dans la maison historique François Baby, ce musée local met l’accent sur l’histoire des Français, des Anglais, des Premières Nations, des Noirs et d’autres groupes culturels de la Ville de Windsor, à partir de 1701 jusqu’à nos jours. Le musée collectionne, conserve et expose des accessoires liés à l’histoire du comté d’Essex. Des visites de groupes scolaires sont offertes dans le cadre d’un programme au musée et à un centre d’interprétation situé à l’extérieur qui appartient à la Fondation du patrimoine ontarien. Les bénévoles se rencontrent tous les mois et collaborent avec le personnel pour offrir des reconstitutions historiques des événements, des visites en autocar et des activités spéciales.

Museum Windsor

Housed in the historic François Baby House, this community museum focuses on the history of French, British, First Nations, Black and other cultural groups in the City of Windsor and area, from 1701 to the present. The site collects, preserves and displays materials related to the history of Windsor and Essex County. School group tours are offered through a program at the museum and at an off-site Interpretation Centre owned by the Ontario Heritage Foundation. Volunteers meet monthly and work with staff to offer living history events, bus tours and special events.


Info: 254 Pitt St. West, Windsor, ON, N9A 5L5
Tel: 519-253-1812
www.citywindsor.ca