Photo de dentistes, 1927, Raoul Guibord, Écomusée de Hearst (Hearst).

Courtoisie de l’Écomusée de Hearst.

Photo of dentists, 1927, Raoul Guibord, Hearst Ecomuseum (Hearst).

Courtesy of the Hearst Ecomuseum.

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Un des trésors documentaires que possède l’Écomusée de Hearst (ÉHE) est le fait du Père Raoul Guibord (1893-1966). Fils d’Onésime Guibord, homme d’affaires et député à l’Assemblée législative de l’Otario, le père Raoul a été curé de la paroisse cathédrale Notre-Dame de Hearst de 1922 à 1931*. Il a ensuite repris le chemin d’Ottawa en laissant aux gens du Nord de l’Ontario deux albums comptant environ 250 montages, compositions et clichés photographiques dont la réalisation s’échelonne de 1926 à 1929. Sachant que l’établissement de colons à Hearst en est alors à ses débuts, on mesure bien l’importance de ces images.

En réalité, le curé Guibord a laissé sa collection à des gens bien précis qu’il affectionnait tout particulièrement : les familles Hallé et Léger. Ces amis, issus de l’élite canadienne-française de la nouvelle communauté, ont pris soin de préserver le précieux cadeau. Pauline Guindon, bénévole et membre directrice de l’ÉHE, raconte qu’au printemps 2006, Madeleine Léger, envisageant de se départir de sa maison à la suite du décès de son époux, le juge Léger, la contacte et lui demande si l’Écomusée est intéressé à conserver deux albums de photos « anciennes » faites par un photographe « amateur » et « ami de la famille ». Elle ajoute que ses enfants n’y tiennent pas et qu’elle trouverait dommage d’avoir à les jeter. Il faut préciser que Mme Léger, née Hallé, est la fille d’un des premiers hommes d’affaires de Hearst, Michel Hallé, et qu’elle est aussi la nièce du fondateur du siège diocésain de Hearst, Mgr Joseph Hallé.

Les frères Hallé sont influents dans la petite localité naissante. L’un dirige le diocèse et l’autre, un prospère homme d’affaires, a dans le sous-sol de sa demeure la génératrice qui alimente en électricité l’évêché qui est alors le cœur battant de la vie communautaire des colons d’origine canadienne-française. Mme Léger raconte que la famille a pris sous son aile le jeune curé Guibord. Elle-même se rappelle peu de lui parce qu’elle était toute petite à cette époque, mais elle se souvient qu’il était un ami de ses parents. C’est à eux, M. et Mme Michel Hallé, que Guibord a donné les albums, sans doute au moment de son départ définitif pour Ottawa en 1931.

Photographie et photogénie

Issu d’un milieu relativement aisé, Raoul Guibord possède, pour l’époque, un équipement de bonne qualité. En effet, l’appareil photo, la chambre de développement, les connaissances et les habiletés techniques ne sont pas à la portée du premier venu dans le premier quart du XXe siècle. Guibord est alors un pionnier et il met ses connaissances techniques au service d’une imagination débordante et d’une vision artistique indéniable.

Les photographies qu’il a réalisées durant son séjour nord-ontarien sont intéressantes à plus d’un égard. D’abord, d’un point de vue strictement technique, elles sont en avance sur leur temps. Par exemple, on retrouve dans le lot des cartes postales mettant en scène des pêcheurs aux prises avec des poissons aux dimensions exagérées. Il s’agit en réalité de photomontages d’une exceptionnelle qualité que réalise Guibord à une époque où les logiciels de retouche comme Photoshop n’ont pas encore été inventés.

Pour Laurent Vaillancourt, artiste visuel et membre directeur de l’ÉHE, « Guibord était en avance sur son temps, comme le confirment ses albums. C’était un artiste et par surcroît un artisan qui maîtrisait la technique de la photographie et de la chambre noire. » Toujours selon Vaillancourt, « [Guibord] fut autant documentariste que portraitiste et toujours avec un souci de composition équilibrée et une mise en scène originale pour l’époque. Ses deux albums, qui documentent cinq ans des débuts de Hearst dans son quotidien, sont des documents d’une valeur inestimable. »

Ensuite, si l’on envisage la collection sous l’angle artistique, les compositions sont originales et elles témoignent de la complicité qui existait entre le photographe et ses sujets. On pense ici aux nombreuses scènes de tendresse entre époux prises au cœur de la forêt, à l’heure du déjeuner sur l’herbe sous la surveillance des bonnes sœurs, au repas préparé par la belle-mère en plein défrichage.

En ce sens, on ne peut manquer de noter les peines et les joies de la vie des premiers colons, le climat social d’entraide nécessaire, le plaisir dans les petites choses, la rigueur du climat et des conditions de travail, la fatigue sur les traits et malgré tout la coquetterie et la joie de vivre.

Par ailleurs, pour l’amateur d’histoire, les photographies du curé Guibord relatent la vie quotidienne au fil des saisons et des années des premières vagues de colons en provenance du Québec. On y voit les terres à essoucher, la boue, les trottoirs de bois, les moyens de transport empruntés selon les saisons ou les portefeuilles, les tendances de la mode, le patrimoine bâti ou en construction, les travaux et les jours, les êtres et les choses.

Ce que l’on peut trouver remarquable dans cette collection, ce sont les poses très naturelles que prennent les personnes photographiées. À l’évidence, le photographe possédait le talent de mettre à l’aise ses sujets. Si les photographies du début du siècle présentent souvent des figures placées en rang d’oignon et aux visages compassés, celles du père Guibord laissent voir des gens taquins, qui s’amusent et rient, complices du photographe.

Il en va ainsi autant pour les photos de famille que pour celles des pique-niques communautaires et des familles autochtones. Parmi les scènes qu’a croquées le photographe, les plus touchantes sont très certainement celles des premiers arrivants, l’été, le chapeau ou le bonnet de travers, les cheveux mal peignés, mais le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Par exemple, comment ne pas être touchés par la vie qui se dégage d’une scène où la bonne femme raccommode, coquine, le fond de culotte de son géant de mari et cela, en pleine forêt, au milieu des moustiques, des casseroles, des haches et des sciottes?

Comment ne pas comparer Guibord à un Doisneau canadien devant cette photographie d’un couple évidemment amoureux et complice, sur une caisse de bois, au milieu de la forêt boréale?

Enfin, d’un point de vue social, il est intéressant de noter que le fait que le photographe soit un religieux ne transparaît qu’épisodiquement dans les mises en scène et le choix des thèmes.

Dans la majeure partie des cas, on est loin du protocole, de la rigueur et du sérieux qui caractérisent souvent les photographies de cette époque au Canada français. Sous l’objectif du père Guibord, le bonheur est permis, le rire, la facétie et l’ironie retienne souvent l’œil du photographe qui s’en amuse plutôt que de s’en offusquer.

On aura compris que la collection dont il est question s’adresse de plusieurs manières aux contemporains et que nous n’en avons pas encore exploré toutes les facettes. Certaines photographies choisies ont fait l’objet d’agrandissements et elles occupent les murs de la Maison-Blais, une maison ancestrale datant de 1916, qui est le siège d’une exposition permanente sur la vie quotidienne des premiers arrivants à Hearst entre 1922 et 1947. L’Écomusée envisage d’exploiter davantage le récit que racontent les photos du père Guibord; c’est là une histoire à suivre qu’il nous a fait plaisir d’entamer ici.

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English – coming soon.

LeBel, Marie. « La collection du Père Raoul Guibord : Combien de mots pour tant d’images? » Le Chaînon, été 2014, p. 27-29.
Source

Écomusée de Hearst Ecomuseum

L’Écomusée de Hearst favorise la naissance et le maintien d’une identité régionale, franco-nord-ontarienne, à travers le support et la participation de la population. L’Écomusée propose un circuit pédestre de la ville de Hearst, un tour de campagne en voiture, des expositions thématiques d’éléments historiques, culturels et naturels du territoire local.

Écomusée de Hearst Ecomuseum

The Hearst Ecomuseum promotes Northern Franco-Ontarian identity through public engagement and community outreach. The Ecomuseum offers local walking tours, countryside car tours, exhibits on local history, culture and nature.


Info: 53 9th St., Hearst, ON, P0L 1N0
Tel: 705-372-2844
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