Étude des habitants et indiens (Détroit), ca. 1780, artist inconnu, Musée royal de l’Ontario (Toronto), 969.37.2.

Courtoisie du Musée royal de l’Ontario.

Genre Studies of Habitants and Indians (Détroit), ca. 1780, Artist Unknown, Royal Ontario Museum (Toronto), 969.37.2.

Courtesy of the Royal Ontario Museum,  ©ROM.

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Le père Potier: missionnaire, cure et linguiste

Né le 21 avril 1708 à Blandain, en Belgique, Pierre Philippe Potier entre au noviciat de Tournai en 1729. Au cours de ses études, il se montre particulièrement doué pour les langues, ce qui le marque spécifiquement pour l’œuvre missionnaire. À la suite de ses derniers vœux en 1743, il s’embarque pour la Nouvelle-France, arrivant à Québec le premier octobre de cette même année. Il passe six mois à la mission de Lorette afin de se familiariser avec la langue huronne et il quitte Québec le 26 juin 1744 pour aller rejoindre le père Armand de la Richardie à la mission huronne de l’île aux Bois-Blancs à l’embouchure de la rivière Détroit. Deux ans plus tard, il devient responsable de la mission. En 1747, l’établissement est détruit lorsque la bande huronne de Nicolas Orontony se révolte. L’année suivante, on décide de rétablir la mission plus près du fort de Détroit, à la Pointe de Montréal située sur la rive sud de la rivière (aujourd’hui Windsor, Ontario). Les premières terres agricoles sont accordées sur la rive sud en 1749 et des colons canadiens-français s’installent alors à la Petite Côte, un territoire avoisinant la mission.

À la suite de la conquête britannique de 1760, Potier étend son ministère à ces nouveaux colons qui, jusqu’ici, se rendaient à l’église Sainte-Anne de Détroit sur la rive nord pour pratiquer leurs dévotions. En 1767, la mission devient officiellement la paroisse de l’Assomption, la plus ancienne de la province d’Ontario actuelle. Potier y demeurera curé jusqu’à sa mort en 1781. Malgré l’isolement de la colonie, il maintient ses activités intellectuelles, consacrant une bonne partie de son temps à la lecture et à la correspondance.

En plus des registres et des livres de comptes de la paroisse, il nous laisse cinq manuscrits concernant la langue huronne, des notes personnelles et des itinéraires de voyages, 22 cahiers d’écrits divers et – ce qui nous importe particulièrement dans cet article – un petit calepin intitulé «Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, etc. des Canadiens au XVIIIe siècle». Surnommé « la bouche Belgique » par ses confrères jésuites, le père Potier note avec intérêt le vocabulaire et les tournures de phrase des Canadiens, consignant dans son calepin tout mot et expression qui lui sont nouveaux. Il entreprend cet exercice dès sa traversée au Nouveau Monde et continue à recenser, entre 1743 et 1758, plus de 2000 mots et expressions. Environ un tiers des mots sont notés lors de son séjour à Lorette et les deux tiers proviennent de la région du Détroit. On ne saurait surestimer l’importance de ce document unique. Comme le dit le linguiste André Lapierre : «Ce cahier constitue, à l’heure actuelle, le seul témoignage sur la langue parlée par les colons venus de France aux XVIIe et XVIIIe siècles pour jeter sur les bords du Saint-Laurent les bases de l’empire colonial français d’Amérique.»*.

Le lexique

Le cahier en question, déposé à la Bibliothèque municipale de Montréal*, mesure 18,3 cm sur 11,8 cm et comprend 59 pages dont la plupart sont divisées en deux colonnes par un trait vertical. L’écriture est minuscule et serrée mais elle se lit très bien; selon Peter Halford, qui publia la première édition intégrale du lexique, on compte jusqu’à 40 caractères par centimètre carré*. Spécialiste des langues, Potier rédige ses entrées avec précision et objectivité. Contrairement aux autres dictionnaires de l’époque, le lexique de Potier « ne méprise le langage d’aucun membre de la société. Il consigne aussi bien le vocabulaire des paysans que celui des militaires et des gouvernants, le vocabulaire des femmes de mœurs légères figure en aussi bonne place que celui des ménagères et le latin du savant confrère jésuite côtoie le français du maçon et de l’engagé »*. Comme Halford le souligne, les relevés du Détroit sont particulièrement intéressants : « à la fois poste militaire, centre de colonisation et étape dans le voyage vers l’intérieur de l’Amérique, la bourgade qu’était alors Détroit attirait militaires et missionnaires, colons et commis.»* Le vocabulaire que Potier y entend et consigne dans son calepin est donc très varié. Il est également marqué par des influences culturelles typiquement nord-américaines.

Potier accompagne lui-même des Canadiens et des Hurons en hivernement et il note le vocabulaire spécialisé qui s’emploie aux confins de la Nouvelle-France : bœuf illinois « bovin de race européenne élevé en territoire illinois »; brasse (de tabac) « quantité de tabac »; coulée « chenail sans issue »; écaleur de chevreux « chasseur »; faon « peau de chevreuil remplie d’huile »; îlet « petite île boisée »; paille-en-cul « canard sauvage [canard pilet] »; praline « blé d’Inde gralé dans la poêle avec de la graisse »; racros « petites anses [dans un lac ou une rivière] » et tête de femmes « mottes de terre dans les prairies ». Il enregistre des mots déjà considérés comme vieux ou régionaux par les lexicologues de l’époque : de bisque en coin « d’un coin à l’autre »; choque « talle »; drès « dès »; ébraillé « déboutonné »; fêtard « paresseux »; firou « anus, fondement » et trouver le stèque « trouver le moyen ». Son lexique inclut également de nombreux emprunts aux langues amérindiennes employés par les Canadiens : akokoine « perche qu’on penche pour y suspendre la chaudière »; aouapou « provisions »; coutaganer « travailler avec le couteau croche »; micoine « cuillère dont se servent les Sauvages »; okantican « grosse flotte (au bout d’un filet à pêche) »; ouararon « grenouille » et sagamité « bouillie faite avec du blé d’Inde ». […]

Importance et retombées du lexique

Avec sa panoplie de premières attestations, d’archaïsmes et de régionalismes, de mots de l’intérieur et d’emprunts aux langues amérindiennes, le lexique de Potier constitue un précieux apport au patrimoine linguistique de l’Amérique française. Les francophones de toutes les régions y trouvent les premiers signifiants de leur héritage culturel, puisque ce lexique témoigne d’expériences et de réalités exclusives à la vie en Amérique du Nord. Pour les habitants du Détroit, le document souligne en plus les contributions importantes de cette région périphérique à l’étude de la langue française. Notons que le premier dictionnaire « québécois », celui de Viger, ne verra pas le jour avant 1810*.

Bien que des éditions partielles du lexique de Potier aient longtemps circulé parmi les linguistes*, la publication du livre Le français des Canadiens à la veille de la Conquête par Peter W. Halford en 1994, ainsi que Les écrits de Pierre Potier publiés par Robert Toupin en 1996*, déclenchent alors une vague d’intérêt pour le français du Détroit et pour la position unique de la colonie comme plaque tournante entre la Nouvelle-France et les Pays d’en haut (les territoires amérindiens des Grands Lacs). Une série d’articles dans les journaux savants et la presse populaire découlent de ces publications et le vocabulaire du Détroit fait notamment l’objet d’une série de chroniques hebdomadaires réalisées par Radio-Canada à Windsor. Les mots de Potier figurent également dans une exposition présentée à la Maison François Baby, musée communautaire de Windsor, qui porte sur la survivance culturelle des francophones du Détroit. Enfin, cet « acte de naissance du parler français en Ontario » est célébré à juste titre lors des grandes fêtes du tricentenaire de Détroit/Windsor en 2001.

Le lexique de Potier atteste de la longue présence francophone dans cette enclave longtemps isolée des principales communautés francophones du Canada. Il continue d’attirer l’attention sur les trois cents ans de survivance de celle-ci au cœur même de l’Amérique du Nord et d’un dense peuplement anglophone. Le Détroit figure de façon importante dans le projet de recherche Modéliser le changement : les voies du français, une étude internationale dirigée par France Martineau de l’Université d’Ottawa, qui retrace l’évolution du français depuis l’Europe médiévale jusqu’à la Nouvelle-France. Mots choisis, un lexique tricentenaire du français du Détroit qui paraît en 2008, prend aussi comme point de départ le travail pionnier de Potier et documente plus de trois mille mots et expressions relevés des deux côtés du Détroit entre 1701 et 2001 pour démontrer que les trésors linguistiques de la région ne s’arrêtent pas au précieux recueil de « la bouche Belgique »*.

Le vocabulaire du Détroit, riche de trois siècles d’échanges et de rencontres au cœur même de l’Amérique du Nord, constitue un des éléments les plus importants du patrimoine immatériel des francophones de cette région surnommée le « berceau de la francophonie en Ontario ».

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Father Potier: missionary, parish priest, linguist

Born on April 21, 1708, in Blandain, Belgium, Pierre Philippe Potier entered the Tournai Jesuit novitiate in 1729.  During his studies, he showed a special gift for languages, a talent that his superiors would see as an indication of his calling to missionary work.  And so, after taking his final vows in 1743, he set off for New France, reaching Quebec City on the 1st of October of that same year.  He spent six months at the Lorette Mission in order to learn some Huron, and then he left Quebec City on June 26, 1744, in order to join Father Armand de la Richardie at the Île aux Bois-Blancs Huron Mission located at the mouth of the Detroit River.  Two years later he became the head of the mission.  In 1747, the institution was destroyed during the revolt lead by Nicolas Orontony’s band of Hurons.  The following year, a decision was made to re-establish the mission closer to Fort Detroit, at Pointe de Montréal located on the south shore of the Detroit River (present-day Windsor, Ontario).  The first farming plots on the south banks of the Detroit River were granted in 1749, at which point French Canadians started settling at Petite Côte, an area adjoining the mission.

Following the British conquest of 1760, Potier extended his ministry to the British settlers, who until that time had gone to the Sainte-Anne de Détroit church on the north shore to worship.  In 1767, the mission officially became Assumption Parish, the first parish in what is now Ontario.  Potier would remain parish priest until his death in 1781.  In spite of the settlement’s isolation, he continued his academic pursuits, devoting much of his time to reading and correspondence.

In addition to parish records and account ledgers, he left five manuscripts concerning the Huron language, along with personal notes, travel itineraries, 22 notebooks containing a variety of writings and – what is of particular concern in this article – a little notebook entitled Façons de Parler Proverbiales, Triviales, Figurées, etc. des Canadiens au XVIIIe Siècle [Proverbial, Everyday and Figurative Expressions, etc. of 18th Century Canadians].  Nicknamed the “Bouche Belgique” [approx. Belgian Philologist ] by his fellow Jesuits, Father Potier noted with interest Canadian vocabulary and idioms, recording in his notebook all the words and expressions that he had never heard before.  He began this practice at the time of his crossing over to the New World and he continued to record words and expressions once in North America, gathering over 2,000 expressions and idioms between 1743 and 1758.  Approximately one third of the words were recorded during his stay in Lorette and the remainder came from the Fort Detroit area.  The importance of this unique document cannot be overestimated.  The linguist André Lapierre has put it this way:  “This notebook is the only evidence we have to date concerning the language spoken by the early settlers who came from France during the 17th and 18th centuries to lay the foundations of the French North American colonial empire that stretched along the shores of the St. Lawrence River.” *

The Glossary

Kept on reserve in the Montreal Municipal Library*, the notebook measures 18.3 cm [7.2 in]   by 11.8 cm [4.6 in] and has 59 pages, most of which are divided into two columns by a vertical line.  The handwriting is tiny and compact, but clearly legible. According to Peter Halford, who published the first integral edition of the glossary, it includes about up to 40 characters per square centimetre*. Potier was a language specialist who entered his data objectively and with great precision.  As opposed to other dictionaries of the period, Potier’s glossary “does not depreciate [belittle] the language used by any given member of society. It records the vocabulary of peasants along with soldiers and of the ruling class; the sayings of ladies of the night are featured as much as those of housewives; and the Latin of a learned fellow Jesuit appears alongside the French of bricklayers and labourers”*. As Halford points out, Potier’s Detroit compilations are particularly interesting, for “the town of Detroit of at that time was a military outpost, a colonization settlement and a way station on the route to the North American interior, and so it attracted soldiers, missionaries, settlers and merchants”*. Thus, the vocabulary Potier heard in the Fort Detroit area and recorded in his notebook is quite rich and varied, having been altered by typically North American cultural influences.

Potier himself often accompanied Canadians and Hurons wintering in the Fort Detroit area, and so he was able to compile some of the specialized vocabulary used in New France. In the following list are some examples of the vocabulary he noted: Bœuf illinois [Illinois ox]: a “bovine of European origins raised in the Illinois Country”; Brasse [pinch] (of tobacco): a “quantity of tobacco”; Coulée [gully]: a ” dead-end valley”; Écaleur de chevreux [kid skinner]: a “hunter”; Faon [fawn]: a “deer skin filled with oil”; Îlet [islet]: a “small wooded island”; Paille-en-cul [straw-tail]: a “wild duck or pintail duck”; Praline: “corn grilled in a pan with fat”; Racros [inlets]: “small coves (in a lake or river)”; Tête de femmes [woman’s head]: “lumps of earth on the prairies.”  Potier also recorded words that were already considered as antiquated or as regionalisms by the era’s lexicographers:  De bisque en coin [from bisque to corner]: “from corner to corner”; Choque [shaker]: “tiller”; Drès [as soon as]: “as soon as, from (written and oral variant of the Fr. dès)”; Ébraillé [popped out]: “unbuttoned”; Fêtard [reveller]: “lazybones”; Firou [butt]: “anus, backside, seat”; Trouver le stèque [find the steak]: “find a way.”  […]

The Significance and the Ramifications of the Glossary

With its vast array of initial attestations, archaisms and regionalisms, backwoods terms and borrowings from the Amerindians, Potier’s glossary constitutes a precious contribution to French North American linguistic heritage.  French speakers of all regions will find the earliest meaningful expressions of their cultural heritage in the glossary, as it contains linguistic evidence of experiences and realities unique to life in North America.  For residents of the Detroit area, the document is also indicative of the important contributions that this former outpost of New France has made to French-language studies.  It should be noted that the first French Canadian dictionary representative of the language spoken in Quebec, the Viger dictionary, would not appear until 1810*.

Although partial editions of Potier’s glossary had long been circulating among linguists*, Peter W. Halford’s 1994 publication of Le Français des Canadiens à la Veille de la Conquête [The French Spoken by Canadians on the Eve of the Conquest] and Robert Toupin’s 1996 publication of Les Écrits de Pierre Potier [The Writings of Pierre Potier]* triggered a wave of interest in “Detroit French”, as well as in the settlement’s unique position as the hub connecting New France with the Pays d’en Haut [the ‘Up’ or ‘Upper’ Country refers to the Amerindian territories surrounding the Great Lakes].  In turn, these publications resulted in a series of articles published in academic journals and the popular press. The French vocabulary of the Detroit region was the specific focus of a weekly series on Windsor’s local Radio-Canada station.  Potier’s glossary was also featured in an exhibit (presented at the Windsor Community Museum, which is located in the François Baby Residence) focusing on the cultural survival of the Detroit region’s French speaking population.  Finally, the glossary, otherwise known as the “Ontario’s French Language Birth Certificate” was given due recognition during the 2001 Detroit/ Windsor Tricentennial celebrations.

Potier’s glossary testifies to the longstanding presence of French speakers in the Detroit region, an enclave that was long-isolated from Canada’s main French-speaking communities. The fact that the community succeeded in surviving 300 years of isolation submerged in a densely populated English-speaking region in the heart of North America continues to draw the attention of various interest groups. The Detroit region is prominently featured in Modéliser le Changement : les Voies du Français, une Étude Internationale [Modelling Change:  An International Study on the Evolutionary Journey of the French Language], a research project overseen by France Martineau of the University of Ottawa that traces the evolution of French from medieval Europe up until the time of New France.  Mots Choisis [A Selection of Words], a 300-year glossary of Detroit French published in 2008, also has Potier’s pioneering work as its starting point. It documents over 3,000 words and expressions that were recorded on both sides of the Detroit River between 1701 and 2001, in order to demonstrate that the region’s valuable linguistic finds are not limited to the precious collection compiled by the “Belgian Mouthpiece”*. The vocabulary of the Detroit region, enriched by three centuries of exchanges and encounters in the very heart of North America, constitutes one of the most important assets of the intangible heritage of French speakers from the region nicknamed the “Cradle of Ontario’s French Language Culture.”

Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, 2007:
Extrait de l’article « Lexique du parler canadien-français du père Potier » par Marcel Bénéteau
Source

* Pour plus d’informations sur les sources citées dans cet article / For more information about the sources cited in this article:
Source

Musée Royal de l’Ontario (ROM)

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